Episode 26 : Milton Friedman en PLS
Les erreurs
Friedman ne justifie pas la neutralité de la monnaie par la rationalité des agents économiques comme je le dis dans la vidéo. C’est Robert Lucas qui introduira ce concept en 1972 sous le terme de “rational expectations” ou “anticipations rationnelles”. Friedman parlait de “adaptative expectations” ou “anticipations adaptatives”.
L’idée est la suivante : les agents économiques (vous, moi, le premier venu) anticipent le taux d’inflation de cette année en observant ce qui s’est passé l’année dernière et toutes les années avant cela. Si le gouvernement n’a pas utilisé la planche à billets les années précédentes, alors l’inflation était nécessairement de 0% car seule la planche à billets peut créer de l’inflation selon Friedman. Les agents économiques vont donc anticiper une inflation de 0% pour cette nouvelle année. Cela dit, le gouvernement peut soudainement décider d’utiliser la planche à billets et donc de “tromper” les agents économiques. La création monétaire n’entraine pas d’inflation car les agents économiques ont été pris par surprise. Ce qui veut dire que l’action du gouvernement peut être efficace. La planche à billets peut permettre de booster l’activité économique. Cela dit, les agents ne se laisseront pas tromper aussi facilement l’année d’aprés. Leurs anticipations auront évolué.
Friedman pensait que les politiques Keynésiennes d’utilisation de la planche à billets pour réduire le taux de chômage entre 1945 et 1970, n’avaient pu fonctionner que parce que les agents économiques se faisaient systématiquement prendre par surprise. Chaque année, la création monétaire dépassait les attentes des agents économiques et donc chaque année, cette création monétaire était efficace : Inflation < Création monétaire. Cela dit, Friedman pensait que les attentes des agents économiques finiraient toujours par dépasser la capacité d’action du gouvernement. On obtiendrait alors une situation de forte inflation non justifiée : Inflation > Création monétaire. Ce qui expliquerait la fameuse période de stagflation.
Pour Friedman, la planche à billets est donc une solution de moyen terme. Certes, on peut améliorer les choses pendant quelques années, mais au final, l’économie reviendra toujours à l’équilibre. Equilibre qui avait justement été perturbé par les actions du gouvernement. Donc Friedman admettait que la création monétaire par l’Etat pouvait avoir un impact positif à moyen terme, mais pas à long terme.
La théorie des “anticipations rationnelles” de Lucas propose une vision différente. Pour lui, la planche à billet ne peut pas avoir d’impact sur l’économie. Ni à court terme, ni à moyen terme, ni à long terme. Puisque la réussite de cette politique monétaire menée par l’Etat peut se résumer en : Inflation < Création monétaire. Lucas propose que, quelle que soit la situation : Inflation = Création monétaire. Ce qui veut dire que les agents économiques ne se font jamais surprendre par les actions de l’Etat. Quoi qu’il arrive, le taux d’inflation décidé par les agents économiques (ils décident car ce sont eux qui choisissent d’augmenter leurs prix), correspondra toujours à la quantité de monnaie effectivement injectée dans l’économie. Les agents économiques ne possèdent plus des anticipations adaptatives, ce qui supposent qu’ils peuvent se tromper, ils possèdent désormais des anticipations rationnelles : ils ne peuvent pas se tromper.
A noter que la théorie des anticipations rationnelles ne dit pas que chaque agent économique ne peut pas se tromper mais que la moyenne des décisions prises par les agents économiques aboutit à une inflation qui correspond exactement à la création monétaire. Certains surestiment l’inflation, d’autres la sous-estiment, mais en moyenne, on tombe pile sur le bon chiffre.
Les points importants
L’équation des monétaristes.
M * V = P * Y
M : Masse monétaire
V : Vitesse de circulation de la monnaie
P : Le niveau général des prix (n’inclue pas le marché de l’occasion)
Y : La production
Le schéma clef :
M3 vs Inflation vs PIB réel
Récap de l’épisode
Numéro 1 : l’équation de Friedman est juste mais on ne peut pas en déduire que l’augmentation de la masse monétaire ne peut que provoquer que de l’inflation. Non seulement cette affirmation va à l’encontre de ce que l’on constate mais en plus, même en essayant de se rattraper aux branches avec ces histoires d’agents économiques rationnels (qui n’est donc pas une idée de Friedman cf le correctif), on n’arrive pas à sauver le raisonnement. La création monétaire intervenant toujours avant une éventuelle production de richesses, les agents économiques devraient toujours ajuster les prix à la hausse sauf que ce n’est pas ce que l’on constate. Donc, la création monétaire peut provoquer de l’inflation, mais pas que. Et les agents économiques ne sont pas rationnels.
Numéro 2 : l’idée d’utiliser l’équation de Friedman pour justifier du fait que l’Etat ne devrait pas avoir accès à la création monétaire est tout aussi infondée. Le seul raisonnement défendable selon la théorie monétariste serait de dire que : comme les banques financent toujours la production, elles ne provoquent pas d’inflation; tandis que comme l’Etat finance toujours la demande, il provoque toujours de l’inflation. Or, avec leur planche à billets électronique, les banques financent majoritairement la demande et pas la production. Quant à l’Etat, il est évident que toutes ses dépenses ne concernent pas des aides sociales. Il lui arrive régulièrement de financer des projets de construction utiles voire même nécessaires, donc de financer une production réelle.
Numéro 3 : l’équation de Friedman ne tient pas compte de la spéculation. La masse monétaire utilisée pour faire augmenter les prix d’actifs immobiliers et financiers n’est pas prise en compte. On pourrait penser que les bulles spéculatives participent à l‘inflation mais ce n’est pas le cas car les biens d’occasions sont exclus du calcul. On pourrait alors réécrire l’équation de Friedman de manière suivante pour tenir compte de ces bulles spéculatives et attention ici je précise : c’est moi réécris ça comme ça parce que je trouve que cela permets de mieux se rendre compte de ce qui se passe mais ce n’est absolument pas une formulation officielle.
Numéro 4 : Depuis la mise en place de l’euro, et plus généralement, depuis que le début de la financiarisation de l’économie - la fameuse époque Thatcher et Reagan - plus que l’inflation ou que la production économique, la création monétaire a surtout financé la spéculation. Si la planche à billets publique a été accusée d’être inflationniste, ce qui a mené à un retrait de pouvoir de création monétaire aux Etats membres de la Zone euro, force est de constater que la planche à billets privée a été essentiellement spéculative. Ce qui pose donc les questions suivantes : qui devrait être en charge de cette foutue planche à billets ? Qui devrait définir ce que l’on en fait ? Et comment peut-on contrôler que son usage est conforme à ce qu’on a décidé de faire ?
Les sources
Fred StLouis : Real Gross Domestic Product (Euro/ECU series) for Euro area (19 countries)
Eurostat : HICP (2015 = 100) - monthly data (index) (prc_hicp_midx)
Fred StLouis : M3 for Euro Area
Pour ce qui est de la critique du courant de pensée monétariste, je me base sur mes connaissances personnelles. Vous trouverez plus d’informations dans ces deux ouvrages :
“L’importure économique” par Steve Keen
“A quoi sert la banque centrale européenne ?” par Edwin Le Héron